#41

Aucun fichier-souvenir de son rêve, ce matin-là. La veille, il était resté trop tard avec les autres surveillants, et n’avait pas pu aller dans la Zone à temps. La prochaine « ouverture » serait le lendemain.

Il envoya un nouveau message à Lena, qui n’avait toujours pas répondu. Il commençait à s’interroger sur son mutisme, à imaginer des raisons improbables qui l’empêchaient de répondre.

Pour se changer les idées, comme il n’avait rien à faire de la journée, il fit quelque chose qu’il ne faisait jamais : il alluma la télévision. En réalité, la « télévision » était simplement une image 3D projetée par son téléphone portable, avec une application spéciale.

C’était l’époque des Jeux Olympiques. Depuis la Grande Anomalie, les étés étaient devenus dans la plupart des pays, soit trop chauds, soit trop humides. Aussi avait-on décalé les Jeux d’Août à Juin.

Pierre ne s’y était jamais vraiment intéressé. Le sport, il préférait en faire plutôt que de le regarder. Pourtant, quand il tomba par hasard sur une épreuve de barres asymétriques, il fut étrangement fasciné.

Il y avait bien sûr la performance sportive qui était impressionnante. A vrai dire, il avait toujours un peu « méprisé » les sports moins connus que la natation ou le tennis. Mais à un tel niveau de maîtrise, cela devenait simplement passionnant. Les compétitrices semblaient s’affranchir des lois de la gravité, et repousser les limites de leur corps. Cela devenait une sorte de danse en apesanteur.

Mais ce qui frappa le plus Pierre, c’était ce qu’il y avait « autour ». La cérémonie, d’abord, où tout était minutieusement organisé pour le spectacle : les costumes, les lumières, les déplacements… Les sportives étaient en permanence filmées par une nuée de caméras, qui leur interdisaient le moindre faux-pas. Et puis, surtout, ce qu’il voyait sur les images, c’était la pression, l’angoisse de certaines sportives. Leur sourire était un peu trop figé, leurs gestes un peu trop raides. Elles avaient beau être habituées, elles jouaient tout sur une minute de prestation physique. Ce n’était que sur les barres qu’elles retrouvaient le contrôle de leur corps.

Au bout d’une demi-heure, Pierre se rendit compte qu’il était complètement essoufflé. En réalité, il ressentait physiquement le stress qu’il voyait sur leur visage. Finalement, il changea de programme.

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#42

Pierre s’éveilla au pied d’un grand arbre. Il regarda autour de lui : il était dans une sorte de sanctuaire, qui formait un dôme autour de l’arbre central. Au-dessus de lui, la pleine lune brillait par un grande ouverture circulaire.

Il se releva, et marcha un peu dans l’herbe humide. Il vit Magda qui dormait paisiblement, et qu’il n’osa pas réveiller. Tout respirait le calme et la sérénité.

Il alla vers une des entrées du temple. Passé un petit vestibule, il put voir l’extérieur. Le sanctuaire se trouvait au milieu d’une clairière, au cœur d’une forêt. Mais il y avait quelque chose d’anormal.

Tout était silencieux. Trop silencieux. La forêt était morte : pas de feuilles sur les arbres, d’herbe sur le sol, d’animaux sur les branches. Pas même de vent pour faire craquer le bois.

Effrayé, Pierre rentra. Il s’assit sur un rocher plein de mousse, pour rassembler ses esprits. Soudain, une note se fit entendre. Très pure, très ronde. Très douce. Une autre s’éleva, venant d’un autre endroit. Bientôt, ce fut une nuée de notes qui résonnaient ensemble. Elle formaient un accord d’une indicible beauté, qui touchait le cœur de Pierre.

Le son montait progressivement, tandis que les notes virevoltaient autour de lui. Peu de temps après le début de cette valse invisible, des lueurs multicolores apparurent dans le ciel. Il sortit son téléphone pour prendre une vidéo.

Les lumières arrivaient de l’extérieur du temple, pour se poser sur les branches de l’arbre, dépourvues de feuilles. C’était un spectacle magnifique. Tout le temple était illuminé.

Soudain, tout se figea, et les choses prirent fin brusquement. Le son et la lumière s’évanouirent en même temps, ne laissant de trace que dans l’esprit et sur la rétine de Pierre.

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#43

Une sorte de feu d’artifice, autour d’un grand arbre. Avec une musique qui faisait saturer le micro de son téléphone. Pierre ne comprenait pas bien le sens de ce rêve, mais il se dit que cela avait dû être plus beau « en vrai » pour qu’il l’ait enregistré. Enfin… aujourd’hui, la Zone ouvrait à 10 heures, il devait partir vite pour y être à temps. Il prit de quoi grignoter en route, et sortit.

Heureusement, c’était dimanche et le métro était désert à cette heure. Quelques personnes en costume allaient travailler malgré tout. Pierre put trouver une place assise et manger un morceau.

Le trajet ne lui prit qu’une heure. Il arriva en plein cœur du quartier d’affaires, entre de grandes tours de verre et d’acier, rivalisant d’audace architecturale. Il avait un peu d’avance, et flâna un peu, la tête en l’air, au milieu de ces grands édifices.

Une grande esplanade se trouvait au centre du quartier. Elle ressemblait à une arène où les employés de chaque entreprise s’affrontait à l’heure des repas, chaque jour. Au milieu de cette esplanade, une grande sculpture moderne avait été érigée, assemblage hétéroclite de cubes de toutes tailles et de toutes couleurs.

Pierre remarqua que le cube à la base était du même vert que les portes d’accès à la Zone. En s’approchant, il distingua les contours d’une porte, invisible au premier coup d’œil. Il s’assura que personne ne le voyait, et passa sa carte dans la fente du cube. La porte s’ouvrit, et il entra.

Cette fois-ci, le passage était souterrain sur une bonne partie du trajet. Une lumière diffuse éclairait la voie. Il arriva enfin dans la Zone, un peu après 10 heures.

Il n’y avait personne dans la rue. Pierre s’avança un peu, pensant qu’il s’était trompé de jour ou d’horaire, quand il remarqua une musique très faible qui s’élevait du parc. Il y entra, et fut surpris d’y croiser les habitants de ce monde, tous vêtus de mauve.

Son cœur se serrait à mesure qu’il avançait dans le parc et qu’il voyait les mines déconfites des gens. La musique était de plus en plus proche : c’était un air enfantin, qui avait une tonalité très triste et mélancolique.

Finalement, il vit ce qu’il redoutait. Au pied du grand arbre, le corps d’une jeune femme était étendu, sans vie, entouré de feuilles multicolores. C’était l’enterrement de Lena.

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#44

Pierre tomba à genoux devant la dépouille. Les chants s’arrêtèrent. Le temps s’arrêta. Et Pierre fit ce qu’il devait faire.

Peut-être était-ce la « force narratrice » de l’histoire dont Lena était l’héroïne qui avait inspiré ce geste à Pierre. Peut-être reproduisait-il seulement ce qui se faisait dans toutes les histoires de princesses que l’on racontait aux enfants. Peut-être même ce formatage aux contes de fées, depuis la nuit des temps, avait-il eu comme unique but de guider les actions de Pierre en cet instant précis.

Quelle qu’en soit la cause, la réaction de Pierre fut la même : il embrassa Lena.

Un murmure de stupeur parcourut l’assemblée. Pierre se redressa à moitié, pris d’un doute sur la pertinence de son geste.

Le murmure changea de forme, et s’amplifia. Pierre se tourna à nouveau vers Lena, et la vit remuer, toussoter, et ouvrir les yeux. Instinctivement, il la prit dans ses bras, l’installa plus confortablement. Le murmure s’était transformé en cris de joie. Lena n’avait pas l’air de comprendre tout ce qui se passait, et semblait un peu effrayée par toute cette agitation autour d’elle. Elle se serra contre Pierre, et ils restèrent ainsi un moment, au milieu de la foule, qui formait un grand cercle autour d’eux.

Finalement, Lena retrouva ses esprits, se releva, et déclara à la foule, d’une voix un peu faible :

– Merci à tous, mais laissez-moi respirer, par pitié ! Retournez à vos occupations, je vais bien, je reviendrai demain…

Drôle de discours, pensa Pierre. Pourtant, les gens obtempérèrent, et se dispersèrent. Il ne resta plus qu’eux deux.

– Ca va ? demanda-t-il, un peu benoîtement

– Lasse et très fatiguée. Il faut que je rentre…

– Tu veux que je te raccompagne ?

Elle hocha la tête. Il se laissa guider vers le premier passage qu’il avait emprunté, celui par lequel tout avait commencé. Lena avançait lentement, clopin-clopant. Elle finit par passer son bras autour de Pierre pour qu’il lui serve d’appui.

Heureusement, l’appartement de Lena était très proche de l’entrée du passage. Ils y entrèrent, et elle s’effondra d’épuisement sur son lit.

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#45

Magda était assise devant le grand arbre de la nuit dernière. Elle était perdue dans ses pensées, et ne vit pas tout de suite Pierre.

– Salut ! dit-il, pour attirer son attention

– Salut ! répondit-elle, en souriant.

Il s’assit sur une pierre.

– Où sommes-nous ?

– Dans le sanctuaire de la racine. On y sera à l’abri, en attendant la suite des évènements.

– Que va-t-il se passer ?

– On verra bien, répondit-elle avec un sourire énigmatique

Ils se turent un moment.

– Le sanctuaire de la racine ?

– Eh bien… Ce que tu vois derrière moi, c’est une racine des rêves. Tous les sept jours, les rêves de toutes les personnes du coin se matérialisent en lucioles, et viennent se poser sur ces racines.

– C’est ce qui s’est passé hier, non ?

– Oui, je crois… normalement, c’était le jour. J’étais épuisée, j’ai dormi longtemps, désolée… Toujours est-il que ces racines aériennes absorbent les rêves des dormeurs, et nourrissent la terre de ce monde. C’est pourquoi cette clairière est un sanctuaire, et qu’aucun habitant de ce monde ne s’en approchera.

 » A partir des rêves collectés, de nouveaux scenarii sont élaborés, et apparaissent en grappes sur les arbres-histoires, présents dans chaque zone topolonique.

– Oui, je crois voir ce dont tu parles

– C’est « fruits » contiennent les consignes pour chaque habitant de ce monde.

– Si je comprends bien, les habitants de ce monde suivent les indications de leur terre nourricière pour créer des rêves ; et ces rêves sont l’énergie qui fait vivre la terre nourricière. Ils vivent en équilibre avec leur « nature », bien mieux que dans le monde réel…

– Oui… on peut aussi dire que le monde en lui-même est une prison qui dicte ses volontés à ses esclaves, forcés de travailler à des rythmes infernaux, pour assurer sa propre pérennité. Question de points de vue…

Pierre se tut, contrarié. Elle n’avait pas tout-à-fait tort : ils n’avaient pas tellement le choix : obéir, ou entraîner la perte de son monde et de son peuple. Mais au fond, n’était-ce pas toujours le cas, dans ce monde comme dans un autre ?

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#46

Quatre heures du matin. Pierre avait été par son portable qui sonnait. C’était un message de Lena : « Viens dès que tu peux ».

Alarmé par ces mots, il décida d’y aller immédiatement. Il but un verre de jus de fruits amélioré, pour rester éveillé, et partit en vitesse.

Pour aller plus vite – Lena habitait à plus d’une heure de marche -, Pierre prit son vélo. Il ne l’utilisait jamais, mais il en possédait un, qui restait dans l’abri de la petite cour. Peu de gens faisaient encore, maintenant : l’Héliopter, le Scootlex ou le Skidop l’avaient supplanté.

La veille, après que Lena s’était endormie, Pierre était rentré. Il s’était assuré qu’elle allait bien, puis s’était dit qu’il ne pouvait décemment pas rester là, chez elle, à attendre son réveil. Qui plus est, il craignait qu’elle dorme longtemps…

A cette heure-ci, c’était encore la nuit. La plupart des rues étaient vraiment désertes, et la ville offrait un visage très différent de la journée. Elle semblait par endroit totalement abandonnée aux chats et animaux errants. Quelques fêtards en milieu de soirée, ce furent les seuls humains qu’il croisa.

Il arriva chez Lena en une demi-heure. Il sonna, en espérant qu’elle ne se soit pas rendormie. La porte s’ouvrit, il monta au deuxième étage en courant. Elle l’attendait sur le palier de son appartement, l’air très affectée. Elle le serra dans ses bras.

– J’ai fait un cauchemar.

Il la fit rentrer, et s’asseoir sur son lit. Elle avait les yeux rouges, et les joues humides.

– Ils… ils torturaient ma sœur. Ils ont compris mon rôle dans tout ça, et maintenant, ils sévissent.

Les paroles de Lena étaient entrecoupées de soupirs et de reniflements. Pierre ne savait quoi répondre. Il eut alors l’idée de regarder dans son téléphone, s’il y avait une trace de Magda dans son dernier rêve.

Par chance, il avait enregistré toute la conversation de la nuit. Il la fit écouter à Lena.

– Tu vois, ta sœur est hors de danger, loin de tout ce qui pourrait la menacer. Celle que tu as vu dans ton rêve, ce devait être un sosie, ou bien une illusion.

– Merci… tu me rassures… Mais c’était tellement réel, tellement horrible…

– Allonge-toi, repose-toi. Tu veux boire quelque chose ?

– Un verre d’eau. Dans le placard, au-dessus de l’évier.

Il lui en amena un. Elle avait l’air d’aller un peu mieux.

– Reste là, je t’en prie… J’ai peur… J’ai peur que ça recommence, si tu t’en vas.

– Mais non, je suis là. Tu peux dormir tranquille.

Elle sourit, se rallongea, et ferma les yeux. Elle avait l’air si faible, très différente de la femme sûr d’elle qu’il avait vu agir quelques jours plus tôt. Elle ressemblait à un enfant, dans la même situation.

Il s’assit sur un fauteuil, et s’endormit à son tour.

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#47

Pierre se réveilla dans une position très inconfortable. Il était avachi dans un fauteuil et avait la tête appuyée sur l’accoudoir.

Lena n’était plus dans son lit. Elle était dans la cuisine, en train de prendre un copieux petit-déjeuner.

– Salut ! lança-t-il. Bien dormi ?

– Oui, après ton arrivée, j’ai dormi comme un loir. Merci beaucoup pour cette nuit. Désolée de t’avoir dérangé, j’ai… paniqué.

– C’est pas grave. L’important, c’est que tu ailles bien.

Ses yeux se posèrent alors sur l’horloge. Dix heures et quart.

– Oulà, j’avais complètement oublié ! Je devais être au lycée à huit heures. Il faut vraiment que je me sauve, désolé.

Il prit sa veste, restée dans l’entrée. Ils avaient dû l’appeler, mais il n’avait rien entendu : son portable était resté dedans. Sur le palier, il fit la bise à Lena. Bise qui devint un baiser langoureux.

– A plus tard ! et encore désolée pour cette nuit !

– C’est rien !

Il fit le trajet vers le lycée sans vraiment y penser. Son esprit était occupé par d’autres sujets. Il ne savait vraiment plus où il en était avec Lena. Ou plutôt, si, les choses devenaient de plus en plus claires. Ce qui ne lui déplaisait pas.ait p

Il avait oublié de lui demander ce qu’il s’était passé ces derniers jours, pourquoi elle ne lui répondait pas. Tout ce mystère l’intriguait au plus haut point.

Au lycée, on lui fit des reproches, mais sans plus. La surveillance des examens était entièrement robotisée ; la présence humaine n’était nécessaire que d’un point de vue légal, et pour suppléer aux caméras en cas de problème technique. C’était surtout de la figuration, pendant quatre jours. Il y avait plus intéressant, comme tâche…

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#48

Lena était venue rejoindre Pierre en fin de journée. Elle voulait le mener quelque part avant d’aller dans la Zone, à 20h.

Ils avaient pris le métro, avaient changé deux fois de ligne, et étaient sortis. Pierre n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient maintenant.

Ils marchèrent encore un peu. Lena avait pris sa main, comme pour se protéger. Ils n’avaient pas dit un mot depuis qu’ils étaient entrés dans le métro. Ils arrivèrent enfin devant un immense bâtiment blanc : un hôpital.

Ils prirent l’ascenseur jusqu’au treizième étage. Lena alla parler avec une infirmière, ou un médecin – Pierre ne savait pas bien.

Il n’aimait pas les hôpitaux. Mais, au fond, y avait-il beaucoup de gens qui aimaient ces lieux ? Dans la plupart des cas, on y allait soit pour ses propres problèmes de santé, soit pour ceux de ses proches. Et la douleur des personnes se transféraient sur les lieux, la souffrance imprégnait les murs. Ce qui rendait l’endroit invivable, pour qui ne savait pas y voir aussi l’espoir et la guérison.

Lena avait fini de parler : elle remercia le personnel, et conduisit Pierre vers la dernière chambre, au bout du couloir. Elle prit une grande inspiration, et entra.

Sur le seul lit de la chambre, contre la fenêtre, Magda dormait. Une multitude d’appareils étaient branchés sur son corps. Le bip de l’électrocardiogramme signalait les battements réguliers de son cœur.

– Voici ma sœur, dit Lena

Elle s’assit sur la chaise, en face du lit. Magda ne portait aucune trace de blessure, de cicatrice ou de problème physique. Elle avait l’air normale, à peine un peu trop pâle, et maigrichonne. Il comprit qu’elle devait être plongée dans le coma.

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#49

– C’était il y a sept ans, déjà. Ma sœur, en plein adolescence, rentrait de vacances avec mes parents. Et puis, soudain, un poteau d’acier s’est effondré sur la route.

 » Mon père est mort sur le coup ; ma mère peu après. Restait Magda, qui n’avait que quelques égratignures – et une commotion cérébrale.

 » Tout semblait aller très bien pour elle. Elle a passé quelques semaines dans le coma, mais, une fois réveillée, elle est redevenue bien vite l’adolescente qu’elle était : brillante, douce, adorable. Profondément affectée par la mort de ses parents, mais « sur la bonne pente ». Ils s’apprêtaient à la laisser sortir, quand sa première crise est arrivée.

 » D’un instant à l’autre, elle était devenue folle : ultra-violente, agressive, comme enragée. Mais le pire, c’était qu’elle souffrait atrocement durant ses crises.

 » On lui a fait passer tous les examens possibles et imaginables. Mais on n’a rien trouvé d’anormal, au moins sur le plan physiologique. On en a conclu à un problème psychologique.

 » Elle a vu les plus grands psys, elle a suivi tous leurs traitements. Mais rien n’y a fait, et les effets secondaires avaient même tendance à aggraver son état. Certaines de ses crises lui affectaient même sa mémoire. L’espoir de retrouver une vie normale s’amenuisait, et son moral diminuait. Il n’y avait que dans son sommeil qu’elle était à l’abri de toute crise.

 » Et puis, une nuit, j’ai rêvé d’elle. Ou plutôt, c’est elle qui s’est invitée dans un de mes rêves, et s’est mise à m’expliquer ce qu’elle avait découvert. Je t’ai dit qu’elle était très brillante : pendant son coma, elle avait réussi à « s’échapper » de son rêve, à pénétrer dans les coulisses du monde des rêves, à s’y faire des alliés et à comprendre une partie du fonctionnement des rêves.

 » C’est là qu’elle m’a fait part de sa volonté d’être plongée dans un sommeil artificiel. Au moins jusqu’à ce qu’elle retrouve la force de se battre contre sa maladie.

 » Elle m’a confirmé la chose, éveillée, le lendemain. Il a fallu ensuite convaincre le médecin de l’hôpital, sans lui en dire trop – il nous aurait pris pour des folles. Finalement, il a accepté. C’était il y a trois ou quatre ans.

 » Parallèlement, avec l’aide de ma sœur, j’ai appris ce que je pouvais sur le monde des rêves, et je suis parvenu à entrer dans des endroits bien gardés, comme la zone topolonique.

 » Le monde des rêves est longtemps resté un « terrain de jeu », où je pouvais retrouver ma sœur vivante et souriante. Et puis, on a peu à peu compris l’oppression que subissaient ses habitants. C’est là qu’on a décidé de faire naître une révolte.

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#50

– Voilà, maintenant, tu sais toute l’histoire.

Ils restèrent un moment sans rien dire. Pierre réfléchissait à tout ce que Lena avait raconté, le regard perdu dans le lointain. A cette hauteur, ils avaient une très belle vue sur la ville, jusqu’à la mer.

Quelle dure épreuve ç’avait dû être ! Pierre admirait le courage avec lequel elles avaient fait et continuaient de faire face.

– Mais je ne suis pas venu que pour te raconter ça. Ils ont, dans cet hôpital, un appareil qui permet de voir ce que voit une personne.

A ce moment-là, la porte s’ouvrit, et un infirmier entra, avec un énorme casque et un écran. Il positionna soigneusement le casque sur la tête de Magda, brancha plusieurs câbles et fit de nombreux réglages. Il tourna finalement l’écran vers eux, et s’en alla sans avoir dit un mot.

L’image était de très mauvaise qualité, faiblement colorée. Malgré cela, on distinguait les branches d’un grand arbre, sur fond bleu.

– Je crois que c’est « la grande racine ». J’en avais fait une vidéo, il y a deux jours.

Lena acquiesça, concentrée sur l’écran. Magda eut l’air de se lever, et de marcher un peu, vers la fontaine. On la vit boire quelques gorgées, puis s’asseoir sur un rocher, non loin. Elle se mit à chantonner – on l’entendait par un haut-parleur, mais il y avait beaucoup de parasites. Elle berçait une sorte de totem en bois..

– C’est ton émetteur, je pense, dit Lena. C’est comme ça qu’on apparaît quand on est éveillé.

– D’accord… Elle doit s’ennuyer, toute seule, dans ce sanctuaire.

– Oui, elle a l’air. Mais vous seriez en danger, si vous vous aventuriez à l’extérieur. Bon, je suis rassurée, tout va bien pour elle. C’est pas que je ne te fasse pas confiance, mais comme tu ne te souviens pas de tes rêves, le fichier que tu m’as montré aurait pu être « fabriqué » juste pour me donner de faux espoirs.

– Oui, c’est vrai, je n’y avais pas pensé.

Ils laissèrent Magda à son sommeil, et Lena le mena vers l’entrée de la Zone la plus proche. C’était une fontaine, quelques immeubles plus loin. Pierre comprit pourquoi elle lui avait fait prendre un maillot de bain, et avait emporté un sac étanche.

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