Le passage le plus près après celui du marché – qu’il préféra éviter – était à plus d’une heure de métro. Pierre eut cette fois beaucoup de mal à trouver l’entrée. Le quartier était très touristique, plein de boutiques et de restaurants. Après en avoir fait le tour, il dut se résoudre à visiter l’intérieur des bâtiments, car rien n’était visible à l’extérieur.
Il finit par trouver une porte verte, marquée du symbole de la Zone, au fond d’un restaurant japonais. Pour ne pas attirer l’attention, il fi glisser son pass dans la fente de la manière la plus nonchalante possible, comme s’il allait aux toilettes adjacentes. La porte s’ouvrit sans problème, et il entra dans le passage, similaire aux autres.
Pendant le trajet, il avait tenté de s’imaginer à quoi pouvait ressembler une révolte dans le monde des rêves. Il avait envisagé des dizaines de scénarios, mais tous étaient loin de la réalité.
A première vue, rien n’avait changé. Des gens passaient dans la rue, toujours aussi captivés par les écrans, omniprésents. Ceux-ci diffusaient toujours en continu toutes sortes de programmes. Tout était calme.
Pourtant… il y avait bien moins de monde que dans son souvenir. Et à bien regarder, les émissions diffusées parurent à Pierre encore plus étranges que la dernière fois. Rien ne s’y passait de la manière attendue. Le décor d’un soap opera prenait feu; l’invité d’un jeu télévisé disait des choses intelligentes; les voitures d’une course automobile tombaient en panne d’essence; le journal télévisé n’annonçait que des bonnes nouvelles.
Pierre fit le tour de la zone, et ne trouva pas d’autre signe de la révolte. Il décida alors d’explorer – enfin – le parc.
C’était une zone de verdure très aménagée et balisée. Il y avait un bassin, où des petits bateaux naviguaient seuls. Sur certaines pelouses, quelques personnes étaient assises ou allongées, les yeux tournés vers l’arbre central.
C’était un magnifique hêtre, qui surplombait tous les autres arbres du parc. En soi, l’arbre lui-même était une merveille, au moins millénaire, alors que très peu d’arbres avaient survécu à la Grande Anomalie. Mais le plus surprenant était que l’arbre était une sorte d’écran gigantesque. Chaque feuille diffusait une fraction d’une grande image, qui s’animait sur le feuillage entier. Et l’arbre paraissait générer son propre film, en parfait relief. Tour à tour, c’étaient des visages qui apparaissaient, des paysages qui se dévoilaient, des animaux qui couraient. Comme s’ils avaient été en chair et en os. C’était un spectacle grandiose, mais qui restait très abscons pour Pierre.
Il resta une demi-heure, à contempler ce prodige, puis se ressaisit et repartit en quête de la révolte mystérieuse. Ce fut dans la galerie commerciale qu’il la trouva. Et il n’aurait jamais pu imaginer ce qu’il allait découvrir.