#51

Il fallait nager plusieurs dizaines de mètres sous l’eau, par un passage assez étroit. Heureusement, il y avait des ouvertures régulières, qui apportaient de l’air et de la lumière.

Lena était partie devant lui. Il s’inquiéta un peu de ne voir aucun signe d’elle, mais il se dit que le tuyau était trop étroit pour passer à côté d’elle sans la voir.

A la septième ouverture, Lena apparut.

– T’en mets du temps ! Tout va bien ?

– Oui, oui… Je manque d’endurance, c’est tout.

– Bon, c’est bientôt fini. Je t’attends à la sortie.

Vingt mètres plus tard, il était au milieu d’une petite place qu’il ne connaissait pas. Lena était déjà sèche. Elle lui tendit sa serviette.

– J’ai oublié de te faire prendre une serviette, désolée.

– C’est pas grave. Merci !

Pierre s’essuya. La serviette sentait bon l’algue marine et le romarin.

– Tu es drôlement agile, sous l’eau ! dit Pierre

– Oui… Une de mes ancêtres était une sirène. Bon, c’est bientôt l’heure, on ferait bien de se rhabiller.

Pierre n’osa pas poser d’autre question. A vingt heures, le quartier s’anima. Ils n’étaient en réalité qu’à une rue de la place principale.

Personne ne s’émut du retour de Lena. Elle lui expliqua que ce n’étaient que très rarement les mêmes personnes, et que les gens d’ici avaient la mémoire courte pour ce genre d’évènements. Pierre pensa alors à lui demander ce qu’il s’était passé, quand on l’avait cru morte.

– Hum, là, j’ai d’autres priorités, répondit-elle. Plus tard, je te dirai.

Elle reprit son rôle d’égérie de la révolution. Pierre ne pouvait pas faire grand-chose, sinon la regarder agir et coordonner tout ce monde. C’en était presque hypnotique.

A la fermeture de la Zone, la nuit était tombée. Ils se dirigèrent ensemble vers la sortie qui donnait chez Lena.

– Et il y a des progrès, dans votre révolution ?

– Oui… Rien d’énorme, mais notre cause gagne du terrain. Les révolutions ne se font pas en un jour ! Mais… l’oligarchie a remarqué notre petit manège. Heureusement, ils ne peuvent pénétrer dans la zone topolonique sans une autorisation qu’ils ne peuvent pas obtenir – les mécanismes qui gèrent cela sont hors de leur portée. Ils pourraient en bloquer l’accès, ou sévir contre les « fauteurs de troubles », mais ils ont compris que cela ne ferait que renforcer notre camp. Alors ils nous discréditent, et sèment la zizanie. Et ils s’en prennent à moi par mes rêves.

Ils arrivèrent devant son immeuble.

– Dis… est-ce que tu pourrais… dormir chez moi ? J’ai peur que mes cauchemars recommencent.

Pierre rougit. Il ne s’y attendait pas vraiment.

– Euh, oui, d’accord. Mais je mets mon réveil, cette fois.

– Oh, merci beaucoup !

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#52

Toujours le même sanctuaire. Mais cette fois-ci, le ciel était plus clair.

Salut ! lui dit Magda, dans son dos.

– Salut ! Rien à signaler, aujourd’hui ?

– Non. Le calme plat.

Un silence.

– Les jours ne durent pas 24 heures, ici, je me trompe ?

– Non. Leur durée varie selon leur humeur, et selon les endroits. Du coup, cette fois, on est tout au bout du petit matin.

– C’est joli comme expression. Tout au bout du petit matin.

– Je l’avais trouvée il y a longtemps, dans un vieux livre poussiéreux*. Il y a de très bonnes bibliothèques, ici.

Nouveau silence. Ils regardaient l’aube arriver.

– Ta sœur a rêvé de toi, cette nuit. Ou plutôt d’un avatar de toi, qui se faisait torturer.

Son visage se fit plus grave.

– Ah. C’est ce que je craignais, ça devait arriver. Il faudra peut-être aller la secourir… Mais, attends… C’est forcément des sbires du pouvoir, qui sont derrière tout ça… Tu peux enregistrer un message pour Lena ?

– J’enregistre déjà tous mes rêves. Attends… C’est bon, parle.

Elle détailla son stratagème pour faire avancer les choses.

– C’est tout. Merci.

Pierre allait lui parler de ce qu’il avait vu à l’hôpital, mais il se ravisa. C’était un peu indiscret, d’entrer dans les pensées de quelqu’un.

– Ta sœur m’a raconté toute ton histoire. Ç’a… dû être dur, non ?

– Oui… c’est bien qu’elle t’en aie parlé.

Elle n’avait visiblement pas envie d’approfondir le sujet. La question de Pierre était très maladroite, aussi.

– Tu ne t’ennuies pas trop, ici, seule ? demanda-t-il, pour changer de sujet.

– Si, beaucoup. Les journées sont longues, et il n’y a rien à faire.

– Tu voudrais que je te ramène quelque chose du monde réel ? La poche de ma veste permet de faire passer des choses, tu sais.

– Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié. Eh bien… Pourrais-tu me trouver… une lampe de poche… une flûte… et des livres ?

– Euh, d’accord. Quel genre de livres ?

– Oh, ce que tu veux. Romans, poésie, théâtre, je prend ce qui vient. Plutôt de la fiction.

* Aimé Césaire, Cahiers d’un retour au pays natal

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#53

– Pierre ! Pierre !

Lena était totalement paniquée.

– Ça a recommencé. Magda… ils la…

– Mais non, mais non… ce n’était qu’un sosie, comme hier. J’en suis sûr. Rassure-toi.

Pierre la prit par les épaules, pour la rassurer. Elle se calma un peu.

– Je vais prendre mon téléphone, reste là, lui dit-il.

Il se leva du lit – Lena avait insisté pour qu’il dorme à côté d’elle -, attrapa son portable, et se rassit sur le lit.

– Tiens, j’ai même un message pour toi.

Ils écoutèrent ensemble le stratagème de Magda. Il s’agissait de mettre à profit les cauchemars de Lena, dont les « acteurs » étaient forcément à la botte du pouvoir, pour identifier et localiser les sbires. A partir de là, il serait éventuellement possible de remonter jusqu’à l’oligarchie. Mais avant tout, il fallait que Lena se rassure : Magda était vraiment en sécurité.

– Je sais bien, mais une fois dans le cauchemar… c’est si réel !

– Hum… il faudrait que tu distingue clairement le sosie de l’original, je pense, ça t’aiderait…

Lena réfléchit un moment.

– On pourrait peut-être couper les cheveux de ma sœur. Ou, mieux, les teindre.

– Oui, bonne idée. Je note pour la nuit prochaine.

Pierre se rallongea dans le lit. Léna était toujours contre son épaule. Elle allait mieux, mais restait encore sous le choc.

– C’est vraiment… insupportable, ce qu’on me montre, dans ces rêves.

A cette pensée, elle se serra un peu plus contre Pierre. Il la prit entre ses bras, colla ses lèvres contre son front.

– Ça va aller, je suis là… je suis là…

Elle lui baisa le creux du cou, sans vraiment y penser. Puis remonta, doucement. Leurs lèvres se touchèrent. Se collèrent.

 

Le matin trouva les deux amoureux enlacés et nus, après une nuit où les cauchemars avaient laissé la place à des choses plus douces. Consciencieux, il fit sonner le réveil, pour tirer Pierre du sommeil, mais prit bien garde à ne pas réveiller Lena, qui dormait paisiblement.

Pierre partit sans faire de bruit, et attrapa de justesse le bus qui le menait au lycée. Il repensa à la nuit qu’il venait de passer, l’esprit encore embué de sommeil. Il était vraiment trop timide, parfois ; il se posait trop de questions. Il le savait bien. Mais c’était sa nature…

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#54

L’été fut chaud. Très chaud. Comme tous les étés. Mais pour Pierre, les choses se stabilisèrent.

Côté travail, il avait finalement décidé d’attendre un peu pour la thèse. Il avait accepté la proposition du laboratoire de Lena. Ils l’avaient affecté aux analyses de qualité de l’eau. C’était assez rébarbatif, mais pas trop mal payé.

Côté cœur, sa relation avec Lena se fit plus claire et « officielle » : ils changèrent de statut websocial. Ils conservèrent leurs appartements respectifs, mais passaient toutes les nuits ensemble. Lena continuait ses cauchemars, et même en sachant que Magda était hors de danger, elle avait du mal à résister au spectacle de la torture. Pierre était le seul à pouvoir la réconforter – et cela consolidait leur idylle.

Côté rêve, Magda était devenue blonde. Elle continuait à attendre qu’on ait besoin d’elle, à l’abri dans le sanctuaire de la racine : Lena refusait qu’on la secoure, et cela aurait nui à la révolte. Magda s’était faite une grande culture littéraire, grâce aux livres que Pierre trouvait tant bien que mal dans une des rares bibliothèques qui subsistaient. Elle avait lu les grands classiques – Zola, Shakespeare, Lévy, Proust… -, mais aussi des auteurs contemporains – Villina, De Connes, Dourbax… Elle s’était aussi mise au dessin et à la peinture, pour changer un peu. Pierre sentait bien que, malgré tout, elle manquait profondément de lien social, mais il ne pouvait pas faire grand-chose de plus.

Côté révolte, les choses avançaient lentement. Pierre accompagnait toujours Lena, et prenait maintenant un peu part à l’action. Des agitateurs du camps adverse venaient parfois troubler leurs journées, mais cela restait rare. Grâce aux cauchemars de Lena, on avait pu infiltrer les arcanes du pouvoir, et localiser quelques-uns des membres de l’oligarchie. Mais il était encore trop tôt pour les renverser.

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#55

C’était la première fois que Pierre n’était absolument pas concerné par la « rentrée des classes ». Ses études, et ses années de pion au lycée, c’était terminé : il en avait fini avec les rythmes scolaires. Cette année, il ne serait que spectateur.

Cela lui faisait une impression étrange. Toutes ces années avaient inscrit le calendrier scolaire au plus profond de son horloge biologique. Des semaines de cours, régulièrement entrecoupées de vacances – salvatrices. Et à la fin, deux mois de pause. Jusqu’à l’année suivante.

Mais voilà, à la reprise, on gardait les mêmes repères, les mêmes dates. Y compris pour l’heure des choix. Chaque année, on savait dès le départ quand la fin arriverait, et quand viendrait le temps de l’orientation.

Et Pierre se rendait compte maintenant qu’il avait perdu cette sécurité, et qu’il était entré « dans la cour des grands ». Contrat à Durée Indéterminée – c’était un gage de stabilité, une chance. Une liberté. C’était aussi quelque chose de vertigineux, où le mot « Fin » restait à écrire. Et un jour, il devrait peut-être l’écrire lui-même. Mais maintenant, ce moment n’était plus prévu dès le départ : ce serait à lui de prendre ses responsabilités, de se poser les questions. Et il se demandait soudain s’il en serait capable.

Alors, il regardait les écoliers rentrer, encore insouciants. Il observait les application-stores proposer leurs nouveaux logiciels d’apprentissage ou de prise de note « intelligente » ; les vendeurs de cybernétique promouvoir les dernières innovations technologiques pour une meilleure ergonomie, ou un meilleur enseignement ; les boutiques de mode lancer les tendances de la rentrée, pour que « nos chers petites têtes blondes » soient à l’aise dans la cour de récré…

Pierre avait toujours vécu cet évènement « de l’intérieur ». Il ne s’était jamais rendu compte de l’aspect commercial omniprésent derrière cette date. Pour lui, l’aspect scolaire, l’excitation à l’approche d’une nouvelle année, pleine de mystère et de nouveautés, avait toujours primé. Cette fois-ci, il n’y voyait qu’une effervescence purement commerciale, destinée à piéger les parents soucieux du bien-être de leurs enfants. Pire, il comprenait qu’il avait lui-même été souvent manipulé par toutes ces enseignes, pour consommer plus.

Et cela l’attristait de ne voir que l’argent derrière l’évènement qui avait toujours marqué son enfance.

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#56

L’automne était passé sans que Pierre s’en rende compte. Les journées, les semaines, se ressemblaient toutes. Seules la durée du jour, la couleur du ciel ou des feuilles d’arbres changeaient, imperceptiblement.

Il passait tout son temps avec Lena. C’était presque au laboratoire qu’il était le plus séparé d’elle. Dans la journée, selon les horaires, ils se libéraient pour aller dans la Zone. Le soir, ils sortaient parfois au théâtre, ou au cinéma. Puis il rentraient, faisaient souvent l’amour, et dormaient.

Dans ses rêves, Pierre retrouvait Magda. Ils discutaient, jouaient à des jeux d’enfants. S’occupaient comme ils pouvaient. Magda lui racontait ce qu’elle savait sur ce monde : c’était très intéressant. Pour que tout le monde y trouve son compte, tous les décors possibles et imaginables existaient. Par ailleurs, ce monde n’était ni sphérique, ni plat : il avait la forme d’une bouteille de Klein. C’était une surface étrange, plane, mais n’ayant qu’une seule face, et aucun bord. Si l’on marchait droit pendant un certain temps, on parcourait les deux « faces » d’un même lieu, mais sans s’en rendre compte. Comme un ruban de Möbius, mais dans la quatrième dimension.

Il apprit aussi que parmi les habitants de ce monde, il y avait un grand nombre de « monstres ». L’imagination des dormeurs devait retrouver ce qu’elle inventait pendant le jour dans ses rêves. Pour cela, il y avait aussi des zones où les lois physiques n’étaient pas les mêmes, ou bien des machines de cinéma qui contournaient les limites de la nature. Bref, Pierre apprit toutes les particularités de ce monde.

Et puis, au milieu de la nuit, Lena réveillait Pierre au milieu de son cauchemar. Il la rassurait, et parfois, ils faisaient encore l’amour. Et puis il se rendormaient. Et puis une nouvelle journée commençait.

Ils ne voyaient presque pas d’amis. Ceux de Pierre avaient d’autres rythmes, et étaient restés autour de l’université. Ceux de Lena étaient principalement ceux du travail. Et, de toute manière, les horaires de la Zone compliquaient bien souvent la participation à un quelconque évènement en groupe.

Pierre était dans un état étrange. Il était heureux avec Lena, trouvait du plaisir dans sa nouvelle vie, mais il était dans l’attente de « quelque chose ». Il avait la vague impression que « les choses » n’avançaient plus. Que tout était figé. Même dans leur révolution, il n’y avait presque plus aucun progrès. Et qu’un jour viendrait du changement. Mais pas tout de suite.

Comme si… comme si la « force narratrice » qui avait guidé ses actions jusqu’à aujourd’hui s’était lassée, n’avait plus d’idées, ou l’avait abandonné. Comme si, après 80 pages manuscrites, il manquait subitement le souffle pour continuer, et terminer.

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#57

Et puis tout se précipita. On avait réussi, grâce aux agents infiltrés, à identifier l’endroit où se réaliserait le rêve d’un dictateur d’un pays lointain. Dans son délire mégalomane, une grande foule était nécessaire : toute l’oligarchie et leurs sbires étaient convoqués.

L’attaque eut lieu au premier mot du rêveur : une bombe sonore explosa, qui étourdit tous ceux qui n’avaient pas de bouchons d’oreilles. Les rebelles se jetèrent alors sur les membres de l’oligarchie, et les plus importants furent emportés par des griffons jusqu’au palais des mille et une nuits.

C’était là que se trouvaient le centre de commande. Le groupe de rebelles força les dirigeants à leur autoriser l’accès, et c’est ainsi qu’ils récupérèrent le pouvoir.

 

C’est l’histoire que Pierre reconstitua le lendemain, dans la Zone. Tout le monde était dans la rue, débordant de joie et de soulagement. On acclamait Lena et Pierre pour leur aide, et surtout pour avoir annoncé la bonne nouvelle. La guerre était finie, on allait pouvoir reconstruire un monde plus égalitaire, plus onirique.

Lena était en communication directe avec le groupe qui avait pénétré le palais. Ils lui parlaient de tout ce qu’ils découvraient, le luxe, l’opulence du lieu. Ils lui décrivaient les mécanismes de commande, et leur fonctionnement approximatif. Tout ce que Pierre comprit, c’est que tout cela était fort complexe. Bien plus qu’ils ne s’y attendaient. De toute manière, ils avaient tout leur temps pour comprendre tout cela, et faire les changements pour lesquels ils s’étaient battus. Ils avaient mis les ex-oligarques au cachot, en attendant mieux.

Et la fête continua dans la Zone, en l’honneur des jours meilleurs qui s’annonçaient.

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#58

Pierre se réveilla sur une plage de sable blanc. Les vagues lui léchaient les pieds. C’était une nuit de pleine lune, et tout était calme autour de lui. Il distinguait les arbres du bord de la plage, et le contour d’une montagne, au loin. Probablement un volcan.

Il était fatigué, et las de sa journée de bain de foule. Être seul, au calme, ne lui déplaisait donc pas. Son regard se perdit sur les vagues, qui se déroulaient devant lui. C’était reposant.

La lune traçait un chemin mouvant de lumière, qui se perdait à l’horizon. Des myriades de miroirs scintillaient dans la nuit. A bien regarder les vagues venir mourir sur le rivage, Pierre put suivre l’évolution des morceaux de reflets. Tandis que la vague avançait et grossissait, les fragments de lumière semblaient s’élever vers le ciel. Et leur mouvement ressemblait à celui des flammes. Un feu de lumière pure, en reflets de lune. C’était fascinant.

Pierre entendit alors des battements d’ailes derrière lui.

– Salut ! lança Magda.

– Salut ! reprit Lena.

Surpris, Pierre se retourna.

– Hey ! Salut ! Toutes les deux, ici…

C’était la première fois qu’il les voyait réunies. Dans le clair de lune, elles se ressemblait beaucoup. A part la couleur de cheveux – forcément.

– Eh oui, enfin !

– On était à la fête de la chute du régime, mais bon… nous, on a eu notre dose, expliqua Lena.

– Oui, moi aussi ! s’exclama Pierre.

Il s’avança, et embrassa Lena.

– Pour fêter la fin des ennuis, Magda a voulu venir dans un lieu qu’on aime beaucoup. Viens, on t’emmène, tu verras.

Elles remontèrent sur leur griffon, et Pierre s’installa derrière Lena. Ils décollèrent, et se dirigèrent vers le sommet de la montagne, qui était en réalité sur une île voisine.

Une falaise tombait en a-pic dans la mer, à l’endroit où il se posèrent. Une petite plateforme s’avançait au-dessus du vide, à cet endroit. Un vent très fort soufflait.

– Tu sais, je t’ai parlé des endroits « spéciaux » où il est possible de faire des choses interdites par la physique conventionnelle…

Magda devait crier pour se faire entendre.

– Eh bien, en voici un, compléta Lena, juste avant de sauter dans le vide.

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#59

Pierre se précipita d’instinct pour la retenir, mais trop tard. Elle avait disparu, probablement écrasée, sur un rocher, en contrebas.

Mais non, elle réapparut, hilare, juste devant lui. Flottant dans le ciel.

– Hihi, tu verrais ta tête !

Pierre n’appréciait que moyennement la plaisanterie.

– Tu n’imagines pas le nombre de personnes qui « rêvent » de pouvoir voler ! Il fallait bien qu’il y ait des lieux où ce serait possible !

Sur ces mots, Magda s’éleva du sol en délicatesse.

– Allez, vas-y, lance toi ! Il suffit de le vouloir, de l’imaginer !

A peine remis de ses émotions, Pierre se concentra sur l’idée de s’élever dans les airs. Cela se fit bien plus naturellement qu’il ne l’aurait pensé.

– Sur toute l’île et une partie de la mer environnante, on peut léviter comme ça !

– C’est fun, non ?

– Très !

Il ne lui fallut que quelques minutes pour maîtriser le vol. Tout était très intuitif. C’était comme s’il avait toujours su léviter.

Les sensations étaient vraiment exceptionnelles. Il avait une totale liberté de mouvement, il était comme en apesanteur. A ceci près qu’il pouvait bien mieux contrôler ses mouvements, simplement par la pensée. Le vent lui donner vraiment l’impression de voler à toute vitesse. C’était grisant.

Ils passèrent la nuit à jouer, sans jamais toucher terre. Plonger dans la mer en frôlant la falaise, puis se redresser juste avant de toucher l’eau, plaisait beaucoup à Pierre. C’était mieux que n’importe quelle montagne russe ou attraction à sensations fortes. Magda préférait explorer les moindres recoins de l’île, dont la topographie changeait souvent, apparemment. Lena, pour sa part, préférait réaliser les figures les plus improbables.

Ils jouèrent aussi à des jeux d’enfants, comme « 1,2,3 soleil », ou cache-cache. Avec toute une île comme terrain de jeu, affranchi de la gravité, ils n’avaient pour limites que leur imagination.

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#60

Pendant les semaines qui suivirent, le nouveau pouvoir du monde des rêves prit ses marques et chercha à mettre en œuvre les changements annoncés. Pour l’instant, c’était le petit groupe de rebelles qui était entré dans le palais qui dirigeait les opérations. Mais ce n’était que provisoire.

Ils s’occupèrent d’abord de re-répartir les rôles dans les rêves. On pouvait contrôler l’attribution de certains rêves dans une salle de contrôle, remplie d’écrans à reconnaissance de mouvements.

L’idée initiale était d’effacer toutes les associations « rêve-acteur » spécifique, pour supprimer toute forme de privilège. Mais quelqu’un objecta que ce serait risqué : les rêves de dictateurs ou de mégalomanes, entre les mains de n’importe qui, pourraient nourrir les appétits de pouvoir et les ambitions de coup d’état. Ils décidèrent donc, d’un commun accord, d’attribuer les rêves de dictateurs à des personnes « dignes de confiance, qui avaient prouvé leur volonté de lutter contre l’oppression du peuple » – autrement dit, des rebelles. Et de priver l’ex-oligarchie des rêves de personnalités importantes, en « punition ».

Pour ce qui était de la répartition des passages en zone topolonique, ils supprimèrent tous les privilèges existants. Malheureusement, il y en avait peu, et il était impossible d’augmenter significativement le temps de repos. Même en diminuant celui des ex-oligarques et de leurs sympathisants, ils ne purent redistribuer que quelques heures aux rebelles. La production des rêves demandait trop de main-d’œuvre, en permanence, et on ne pouvait pas diminuer les effectifs. Enfin, c’était toujours ça de pris.

Pour terminer, ils organisèrent des élections pour instaurer un gouvernement démocratique. Seulement, ce monde était bien trop grand pour interroger tous ses habitants en même temps. Et les gens bougeaient trop, au gré des attributions de poste chaque jour, pour que des élections « locales » aient un sens. Ils se résignèrent donc à faire une élection avec les personnes aux alentours du Palais de Mille et Une nuits, un soir.

Pour avoir quelques candidats, ils avaient organisé une campagne de recrutement dans les zones topoloniques. Il y eut deux personnes qui se présentèrent, seules – en plus du « chef » du groupe des rebelles. Sans surprise, ce fut lui qui gagna les élections.

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