#55

C’était la première fois que Pierre n’était absolument pas concerné par la « rentrée des classes ». Ses études, et ses années de pion au lycée, c’était terminé : il en avait fini avec les rythmes scolaires. Cette année, il ne serait que spectateur.

Cela lui faisait une impression étrange. Toutes ces années avaient inscrit le calendrier scolaire au plus profond de son horloge biologique. Des semaines de cours, régulièrement entrecoupées de vacances – salvatrices. Et à la fin, deux mois de pause. Jusqu’à l’année suivante.

Mais voilà, à la reprise, on gardait les mêmes repères, les mêmes dates. Y compris pour l’heure des choix. Chaque année, on savait dès le départ quand la fin arriverait, et quand viendrait le temps de l’orientation.

Et Pierre se rendait compte maintenant qu’il avait perdu cette sécurité, et qu’il était entré « dans la cour des grands ». Contrat à Durée Indéterminée – c’était un gage de stabilité, une chance. Une liberté. C’était aussi quelque chose de vertigineux, où le mot « Fin » restait à écrire. Et un jour, il devrait peut-être l’écrire lui-même. Mais maintenant, ce moment n’était plus prévu dès le départ : ce serait à lui de prendre ses responsabilités, de se poser les questions. Et il se demandait soudain s’il en serait capable.

Alors, il regardait les écoliers rentrer, encore insouciants. Il observait les application-stores proposer leurs nouveaux logiciels d’apprentissage ou de prise de note « intelligente » ; les vendeurs de cybernétique promouvoir les dernières innovations technologiques pour une meilleure ergonomie, ou un meilleur enseignement ; les boutiques de mode lancer les tendances de la rentrée, pour que « nos chers petites têtes blondes » soient à l’aise dans la cour de récré…

Pierre avait toujours vécu cet évènement « de l’intérieur ». Il ne s’était jamais rendu compte de l’aspect commercial omniprésent derrière cette date. Pour lui, l’aspect scolaire, l’excitation à l’approche d’une nouvelle année, pleine de mystère et de nouveautés, avait toujours primé. Cette fois-ci, il n’y voyait qu’une effervescence purement commerciale, destinée à piéger les parents soucieux du bien-être de leurs enfants. Pire, il comprenait qu’il avait lui-même été souvent manipulé par toutes ces enseignes, pour consommer plus.

Et cela l’attristait de ne voir que l’argent derrière l’évènement qui avait toujours marqué son enfance.

Posté dans 2012 - Révolutions | Commenter

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