Lena n’avait pas répondu à son message, et Pierre ne savait pas bien comment interpréter cela. Après le travail, les autres surveillants l’invitèrent à aller dîner. Comme il lui restait du temps, il accepta. Il allait rarement avec eux, et, au fond, les connaissait peu. C’était une bonne occasion.
Ils se rendirent à un restaurant libanais qu’ils fréquentaient régulièrement. Cela faisait longtemps que le Liban avait été absorbé par les pays limitrophes, au terme de longues guerres. Les restaurants étaient le seul souvenir de ce pays, affichant l’emblème ancestral du cèdre et un drapeau oublié. C’était triste, cette histoire…
Pierre prit un plat un peu au hasard, et rejoignit les autres. La conversation tournait principalement autour de l’avenir et des projets de chacun.
Sophia, la plus jeune, allait simplement continuer ses études de mathématiques. Elle n’était qu’à sa deuxième année, et n’avait pas encore à faire de vrai choix de spécialisation. Elle s’orientait plus vers l’algèbre – car elle trouvait l’analyse rébarbative. Elle resterait surveillante encore une année. Dans le futur, elle se voyait bien faire enseignante : la recherche lui faisait un peu peur.
Camille, l’artiste, était acceptée dans une école d’art très réputée. Elle était très excitée à l’idée de ce qu’elle allait y faire. Dans quelques années, elle allait pouvoir exposer ses propres « œuvres augmentées », et elle y voyait un outil formidable pour élever l’âme des spectateurs, les toucher au plus profond de leur être – un usage plus noble que les âneries commerciales qui étaient pour l’instant réalisées. Elle avait décroché une bourse d’études au mérite, et ne serait plus surveillante.
Julio, le philosophe, avait terminé ses études, et préparait un voyage à pied autour du monde. Il voulait s’affranchir de la virtualité moderne, qui détournait les esprits de l’essentiel : la quête de la paix intérieure. Il s’érigeait en faux contre tous les divertissements abrutissants qui nous assaillaient en permanence, et voulait retrouver les fondements de l’humanité en allant à la rencontre de peuplades encore authentiques.
Pierre, lui, ne savait plus trop ce qu’il souhaitait faire. Son examen réussi, il hésitait entre prendre une année sabbatique, ou partir travailler dans le laboratoire où il avait fait son stage. Ou commencer sa thèse – mais il ne se sentait pas encore prêt.