#38

Aussitôt réveillé, Pierre consulta son téléphone, en quête de « souvenirs » de la nuit. Il trouva deux enregistrements audios. Dans le premier, Magda expliquait les règles d’apparence des personnes dans le monde des rêves : une complexe histoire d’êtres et d’avatars, d’ombres et d’animaux. Dans le second, elle détaillait l’apparition dans le monde des rêves et le réveil. Rien de très instructif, en somme.

Il avait dû se passer d’autres choses pendant son rêve, vu le changement d’ambiance sonore entre les deux fichiers. Il finissait par se sentir frustré de ne pas se souvenir de ses rêves.

Il envoya un message à Lena, l’invitant à se voir en fin de journée. L’ouverture de la Zone était très tardive, entre 23h et 2h du matin.

Il se rendit ensuite au lycée. C’étaient les derniers préparatifs avant la semaine des « examens de fin de lycée ». Dans le temps, on appelait ça « baccalauréat ». C’était pus joli, comme nom.

Pierre se souvenait encore de la lointaine époque où il les avait passés. C’était avant la « révolution mobile », ils avaient encore des écrans « solides » pour écrire.

En réalité, il n’était pas originaire de la Ville. Il avait fait son lycée dans un petit établissement de province, où ils n’étaient qu’une cinquantaine en dernière année. Il avait vécu toute son enfance dans des montagnes perdues qui avaient subi de plein fouet les bouleversements des derniers siècles.

Il avait vu des photographies anciennes de sa vallée, où tout était splendide, luxuriant de verdure. Tout ce qu’il avait connu, lui, c’était un paysage cramoisi, entièrement recouvert du lierre rouge qui avait proliféré depuis la Grande Anomalie. Et la région qui vivait traditionnellement du tourisme avait été ruinée. Seules quelques carrières de gypse faisaient un peu tourner l’économie.

On avait récemment trouvé une solution à ce problème. A force de manipulations génétiques, on avait fabriqué un insecte qui se nourrissait exclusivement de lierre rouge. Mais il allait falloir des décennies avant que la vallée retrouve un visage normal : l’infection était trop profonde. Et puis, à vrai dire, Pierre se posait des questions sur l’innocuité des insectes quand il n’y aurait plus de lierre.

Pierre aimait sa vallée. Il ne s’était pas toujours senti bien dans ce milieu social clos, mais cela restait la terre de son enfance. Un îlot de nature dans un monde de plus en plus urbain.

S’il était parti faire des études de biologies à la Ville, à l’origine, c’était dans l’espoir de trouver le remède au mal qui touchait ses montagnes. Et puis, en arrivant, il avait découvert d’autres choses, et s’était finalement trouvé une vocation dans l’étude des mers.

En un sens, il avait toujours le sentiment d’avoir trahi ses rêves d’enfants. Mais il ne regrettait pas. Et puis, quelqu’un d’autre avait trouvé la solution. Ce n’était pas sa destinée.

Posté dans 2012 - Révolutions | Commenter

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