Le centre commercial avait été totalement transformé en quartier général. Mais il ne s’agissait pas de barricades, ni d’armement – de telles choses ne semblaient pas avoir cours ici. Non : il y avait de nombreux « stands » aménagés avec les moyens du bord, où des personnes en costard-cravate élaboraient des plans et des scénarios farfelus. Le bâtiment grouillait comme un ruche. Tout était en grand désordre, et des colonnes de caisses et de papier s’élevaient contre les parois, menaçant de s’écrouler à tout moment. Pierre se demanda comment ce lieu avait pu changer autant en deux mois.
Il s’enfonça dans les profondeurs de la galerie, suscitant des regards surpris et des commentaires inaudibles. En passant devant un ancien magasin de literie, il entendit des voix. Dont une qu’il reconnut. Il entra.
Une assemblée silencieuse écoutait un discours stratégique tenu par quatre personnes sur une estrade. Parmi elles, Pierre reconnut Lena. Elle aussi le vit, se figea un instant, puis reprit son discours, troublée.
Il était question des rêves, qu’il fallait saboter, en somme; d’une administration qu’il fallait saturer de demandes inutiles; et d’une oligarchie lointaine qu’il fallait renverser. Tout cela pour obtenir une meilleure répartition des rêves et des cadences. C’était donc ça, la révolte, pensa Pierre.
A la fin de l’exposé, Lena se dirigea vers lui.
–C’était donc toi… dit-elle
– Euh, ben… j’ai fait quoi ?
– Rien. Enfin, si, tu es entré dans la zone par hasard, sur mes pas, et tu as obtenu le droit d’y retourner – je me demande bien comment.
– A vrai dire, moi aussi…
– Oui, je sais, tu ne te souviens de rien, ma sœur m’a expliqué.
– C’est ta sœur, cette… Magda, c’est ça ?
– Oui. Je te raconterai tout ça plus tard. En attendant, le créneau horaire topolonique va bientôt se terminer. Je dois encore faire des choses.
Elle passa à plusieurs stands, approuva des plans étranges, discuta certains scénarios, encouragea certaines personnes. Puis l’écran central s’éteignit, et les gens partirent.