#31

Isabelle et Juliette marchaient le long du bord de mer. De temps à autre, elles échangeaient quelques mots. Juliette cherchait une idée de travail qui conviendrait à son amie.

Elle fut tirée de ses réflexions par son amie, qui montrait un attroupement sur la plage. Elles descendirent voir. La foule cachait l’objet de l’attention, mais elles parvinrent à se frayer un chemin jusqu’au premier rang. Elles rejoignirent l’étonnement général à la vue des sirènes échouées sur le sable.

Des rumeurs couraient, farfelues, confuses. Isabelle réussit à en comprendre quelques-unes. On parlait de manipulations génétiques secrètes, qui avaient engendré ces monstres ; de théorie du complot ; d’extraterrestres… Un vieux pêcheur, une bouteille de rhum à la main, s’écriait : « J’avais raison ! Elles existent ! Je l’ai toujours dit ! », en titubant. Il y avait même deux illuminés qui se querellaient : l’un y voyait des êtres issus d’une civilisation plus avancée, à traiter comme des divinités ; l’autre les qualifiait de « créatures du diable, punies par Dieu de vivre dans le pêché ».

Au milieu de cette joyeuse pagaille, soudain, un homme s’avança et tenta de remettre à l’eau un des sirènes. Devant l’incompréhension et l’immobilité générales, il cria « Elle est vivante ! aidez-moi ! ». Aussitôt, Juliette réagit. D’autres personnes les rejoignirent, et en quelques minutes, ils avaient réussi à la porter jusqu’à une eau assez profonde pour qu’elle puisse nager. Alors, devant l’étonnement grandissant de la foule, la sirène tressaillit, donna quelques violents coups de queue, et disparut dans l’eau.

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#32

Les « sauveteurs » recherchèrent d’autres survivants parmi les sirènes, mais il n’y en avait malheureusement pas. Ils durent aussi empêcher le vieux pêcheur de se jeter à l’eau à la poursuite de la sirène. Dans son état, il se serait noyé à coup sûr.

Ils agissaient entourés par une foule passive, qui se contenter d’observer et de commenter, en prenant des photos et des vidéos avec leurs téléphones portables.

Finalement, la police arriva, et fit évacuer la plage. A l’initiative de Juliette, l’équipe des sauveteurs alla boire un verre dans un bar sur le port.

Ils étaient neuf ou dix, et Isabelle, bien qu’elle n’eût pas vraiment participé aux opérations, les accompagnait. C’étaient globalement des habitants de la région, plutôt jeunes. Certains étaient membres d’associations comme la Surfrider Fondation ou Greenpeace, et l’un d’eux avait même déjà participé à un sauvetage de dauphins échoués.

Au milieu, celui qui avait agit le premier, qui s’appelait Jacques, faisait « atypique ». Il n’était affilié à rien de ce genre, et avait agit seulement par réflexe, par « respect pour la vie ». Et aussi un peu parce qu’il avait croisé le regard de la belle sirène… Isabelle était sûre que c’était l’homme qu’elle avait rencontré, un soir, sur le port.

La conversation dévia sur « ce qui se passerait ensuite ». Ils pensaient globalement tous que les corps seraient ramassés pour être étudies. Certains trouvaient cela révoltant, d’autres, normal. Il faut bien faire avancer la science. Encore heureux, les scientifiques n’auraient pas de cobaye vivant à martyriser…

Puis, la discussion repartit sur des thèmes plus généraux, et finalement, le groupe se dissolut.

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#33

Isabelle partit se balader, seule. Elle alla du côté du sentier du littoral, où le chemin devenait plus sauvage.

Elle pensa un moment aux sirènes. Finalement, elles existaient ! Cela la ramenait à l’enfance, à l’époque où elle jouait – avec Juliette, d’ailleurs – à la petite sirène. Comme tout cela était loin, maintenant !

Elle ferma les yeux, et imagina un moment qu’elle était une sirène. Elle voyait autour d’elle les ruines de l’Atlandide, et arrivait à sentir ce nouveau corps. Elle sentait les flux d’eau sur sa peau et ses écailles, sentait sa queue de poisson battre et la propulser. Quelle sensation de liberté ! C’était grisant.

Elle rouvrit les yeux, et revint sur terre. Ses pensées se tournèrent vers les étranges évènements des derniers jours. Elle trouvait cela amusant, distrayant, presque poétique, et se surprenait à guetter, dans la quotidien, de nouvelles « anomalies ». Cela égayait son été. Et puis, elle n’avait pas à s’en plaindre : cela l’avait débarrassée de Jean-Claude – dont elle n’avait plus de nouvelles.

Elle se demandait quelle serait la prochaine « surprise »…

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#34

Jacques attendait Véronique à la gare. Après 4 ou 5 changements de date, et un – petit – détour par Bordeaux, elle avait finit par envoyer un message pour annoncer que son TGV était arrivé à Marseille, et qu’il ne lui restait plus qu’à prendre le TER. Enfin, presque.

Jacques, qui était déjà à la gare, reçut un peu trop tard un autre message – comme toujours, en style télégraphique, et en majuscules. Elle avait oublié un de ses sacs dans le TGV. Le temps de parlementer au guichet pour le récupérer – il avait été trouvé par l’équipe de nettoyage -, elle avait manqué l’omnibus. Il fallait donc attendre le train suivant, une heure plus tard…

Connaissant bien « Véro », rien de tout cela ne surprenait vraiment Jacques – « tout va mal qui finit bien ». Aussi, il s’était assis à lire le journal. A la une de la presse locale figurait, bien sûr, les sirènes. Il fut étonné de trouver une photo de lui, en plein sauvetage, au milieu de l’article. Heureusement, la photo, prise d’un téléphone portable, était de trop mauvaise qualité pour qu’on l’identifie.

Il appris, amusé, que les vidéos de l’évènement attiraient des milliers d’internautes sur Youtube, et que plusieurs groupes Facebook avaient été créés – allant de « Si toi aussi tu veut passait ta nui avec une sirène ♥ » à « Pour l’immersion des corps des sirènes », en passant par « Non aux mutantes sur nos côtes »… Plus intéressant, l’article expliquait que les sirènes avaient été confiées au CNRS, qui ferait des études « dans le plus grand respect des corps ».

Jacques s’informa ensuite des nouvelles locales, et apprit que ce jour-là se tenait la kermesse de l’école ; que le patron de la boîte de nuit locale avait été assassiné ; et que la mairie inaugurait un nouveau rond-point.

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#35

Véronique avait fini par arriver. Ils descendaient maintenant le chemin de la gare. Jacques n’écoutait qu’à moitié les aventures de Véro et ses plans pour la suite de l’été. Non, Jacques était perdu dans ses pensées. Et ses pensées tournaient autour des sirènes. Soudain, Véro s’exclama :

– Oh, ils ont installé un mur végétal ? C’est beau !

Et en effet, devant eux, un magnifique mur recouvert de plantes. Qui n’était pas là quelques semaines plus tôt, il l’aurait juré. Ce devait être l’immeuble enseveli par le lierre dont on avait parlé. A part que ce n’était pas du lierre, non. C’était toute une flore qui s’était développée, avec un certain nombre de plantes exotiques…

– Tiens, ça forme un visage ! C’est fortiche, dis donc.

Maintenant qu’elle le disait, oui, Jacques y voyait un visage. On aurait dit… Non, Jacques était incapable d’identifier qui. Pourtant, le visage paraissait familier.

Ils continuèrent leur chemin. Jacques resta évasif concernant ce « mur végétal », il ne voulait pas aborder ce sujet immédiatement. Il se contentait d’approuver ce qu’elle suggérait. Rapidement, elle reprit le récit de ses aventures : le contrôle technique de la voiture dont la troisième vitesse ne fonctionnait plus – il suffisait de trouver un garagiste qui se contente d’un tour de parking, et ne dépasse jamais la seconde – ; l’appartement à Bordeaux qu’elle voulait vendre – depuis au moins dix ans…

Jacques sourit. Non, elle n’avait pas changé.

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#36

Jacques et Véro prenaient leur déjeuner, sur la table du jardin. Véro s’était installée dans la chambre d’amis, pendant que Jacques était allé chercher à manger chez le traiteur thaïlandais.

A la fin du repas, Véro le questionna sur cette histoire de sirènes. Jacques prit alors le temps de lui raconter les évènements de la veille – en omettant sa participation au sauvetage. Plus généralement, il lui détailla les étranges phénomènes de ces derniers temps. En allant faire les courses, il avait d’ailleurs remarqué que la mer était très basse. Dans une mer sans marée, loin de l’équinoxe, c’était assez surprenant.

– Tu racontes très bien, tu sais. Tu pourrais écrire des livres…

C’était la seule réaction qu’il obtiendrait de Véro. S’il faisait la liste de tout ce qu’elle avait envisagé comme métier pour lui… Dire qu’elle était venue « pour lui remonter le moral et l’aider à faire son choix » !

– D’ailleurs, où en es-tu dans tes réflexions ? Tu t’es décidé à laisser tomber l’ingénierie ?

Jacques n’était pas très avancé, à vrai dire. Il lui expliqua qu’il avait essayé de se détendre et de faire le vide, plutôt que de se poser des questions sur son avenir. Il lui raconta un peu ses journées, la pêche, les balades…

– Et tu as fait un peu de voile depuis ton arrivée ? Tu aimais tant en faire !

– Euh… Tu dois – encore – confondre avec mon cousin Raphaël. Tu sais bien que je suis malade en bateau.

– Ah oui, c’est vrai, pardon, j’avais oublié

Jacques ne s’en offusqua pas : elle faisait la même chose à chaque fois qu’elle venait les voir à la mer…

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#37

– Tu es sûre que tu tiens à travailler et à te loger ailleurs ?

Isabelle acquiesça d’un signe de tête. Ce n’était pas la première fois que Juliette posait la question, elles en avaient déjà longuement parlé…

– Bon, j’ai peut-être quelque chose… Pas sûr que ça te plaise, mais y’a pas beaucoup de boulots saisonniers disponibles maintenant. C’est un peu tard.

– Hum ?

– Un de mes amis s’est cassé la jambe en catamaran. C’est rare, mais ça peut arriver, quand on est au trapèze et qu’on part en soleil sur…

– Mais encore ?

– Bref, il est immobilisé pour un mois, et il pourra pas bosser de l’été. Et il cherche quelqu’un pour le remplacer.

– Et son boulot, c’est ?

– Il travaillait sur le marché journalier.

Isabelle réfléchit pendant que Juliette donnait des précisions. 5h30-14h, 4 jours par semaine,. Payé au SMIC, et quelques pourboires des clients, des fois. Aider à déballer, servir les gens, aider à remballer. Les employeurs étaient des paysans plutôt sympas.

Isabelle hésitait. Elle aurait espéré mieux, comme travail. Ca pouvait être pénible, et les horaires la rebutaient un peu. Mais en même temps, ils lui laissaient l’après-midi de libre…

– D’accord !

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#38

Isabelle était devant la porte de Denise, la vieille dame chez qui elle allait loger. Denise l’avait appelée pour lui annoncer que la chambre s’était libérée.

La porte s’ouvrit, et le visage souriant de la vieille dame apparut.

– Entrez, entrez.

Isabelle fut conduite à sa chambre, à l’étage. C’était une chambre relativement spacieuse, qui donnait sur l’Est. Comme elle allait devoir se lever tôt, cela ne la gênerait pas, pensa-t-elle. Elle déposa ses affaires, ouvrit quelques armoires pour faire connaissance des lieux, puis alla rejoindre Denise dans la cuisine, où elle buvait son thé.

En réalité, ce n’était pas vraiment un logement « au pair ». Denise louait cette chambre à un prix très bas, et demandait en contrepartie un peu d’aide pour la cuisine et le ménage. Elle était seule dans la maison, et le poids des années commençait à se faire sentir. Elle avait donc trouvé cette formuke pour avoir un peu d’assistance et de compagnie.

Isabelle ne dit rien, mais elle trouvait cette manière de faire un peu étrange. Elle ne voulait pas se faire manipuler comme elle l’avait été par Jean-Claude. Elle savait qu’il était possible de faire appel à des services aux personnes âgées, plus compétents pour ce type d’assistance.

Mais en même temps, Denise paraissait gentille et douce. Et trouver à se loger autre part à un tel prix était tout simplement impensable dans la région…

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#39

Quatre heures trente. Le réveil sonna, mais Isabelle lui demanda cinq minutes de répit. Puis cinq autres… Finalement, elle finit par céder à l’impatience du boîtier, et se leva à cinq heures moins dix. Elle s’habilla sans bruit et descendit.

Elle fut surprise de trouver Denise debout, et s’inquiéta de l’avoir réveillée.

– Oh, tu sais, à mon âge, les nuits sont courtes ! On n’a plus grand chose à rêver…

Isabelle prit un rapide petit déjeuner, et partit vers la place du village. Elle découvrit combien il était agréable de marcher dans les rues fraîches et désertes, avant le lever du soleil.

La place était encore vide. Dans le port, les bateaux de pêcheurs commençaient à rentrer tandis que l’aube approchait. Les bateaux semblaient très hauts sur l’eau, comme posés en équilibre sur leur coque, dans la lumière pâle du petit matin.

Les premières camionnettes des vendeurs du marché arrivèrent. Isabelle y trouva son employeur, et se présenta.

C’était un couple d’agriculteurs, dans la cinquantaine. Ils s’appelaient Charles et Claudine. Au premier abord, Isabelle ne les trouva pas très chaleureux. Mais en discutant un peu, cette première impression se dissipa. Et ils commencèrent à monter les étals.

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#40

Et c’est ainsi qu’Isabelle apprit à vendre des salades – et d’autres fruits et légumes. Ce n’était pas aussi facile qu’elle le pensait. Elle avait du mal à se représenter la quantité que demandait le client, et mettait toujours un peu trop de fruits dans le sac, qu’elle devait alors enlever. Et elle ne savait pas juger rapidement de la maturité d’un fruit – selon si c’était pour consommer le jour même ou plus tard…

Les « patrons » étaient de bon conseil, et tenaient à ce que les clients soient bien servis. La concurrence était rude entre les maraîchers, et à défaut de pratiquer les prix les plus bas, il fallait miser sur la qualité.

Isabelle put aussi observer les différentes « vagues » d’acheteurs. Il y avait d’abord les restaurateurs, et les employés des bateaux de luxe, qui venaient très tôt choisir les meilleurs produits, avant que la chaleur ne les abîme. Ensuite, la fréquentation augmentait, en même temps que le soleil s’élevait dans le ciel. Globalement, elle remarqua que les personnes âgées venaient plus tôt, pour fuir la foule et la chaleur.

En milieu de matinée, le marché battait son plein. Ils n’étaient pas trop de trois pour servir tous les clients qui affluaient. Puis, vers treize heures, l’activité diminuait. Les vendeurs remballaient tour à tour leur marchandise, et partaient.

Charles referma les portes de la fourgonnette à quatorze heures dix. Ils étaient assez content d’Isabelle. Certes, elle avait encore un peu de mal, mais ils savaient que ce qui lui manquait, c’était simplement de l’expérience.

Isabelle, épuisée, rentra manger un bout, et faire une sieste.

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