#11

A treize heures, Isabelle jugea qu’elle en avait assez fait pour la journée, et rentra chez son amie Juliette. Elle mangea, et lui raconta les déboires de ces derniers mois, et ses aventures de la matinée. Bien que son amie proposât de l’héberger aussi longtemps que nécessaire, Isabelle préférait s’installer au pair chez cette vieille dame, rue des Jardins. Elle tenait à son indépendance, et ne voulait pas déranger son amie trop longtemps. Cela dit, la chambre se libérait dans un mois seulement – avec la fin des cours de l’université. La propriétaire était surprise, mais contente d’avoir quelqu’un pour l’été.

Le reste de la conversation aborda des sujets aussi variés que le temps, la mode, la cuisson du riz, les réseaux sociaux ou bien les meilleures crèmes solaires. Et l’après-midi passa.

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#12

Le soir, Juliette emmena Isabelle faire un tour. La nuit était fraîche mais le vent était tombé. Juliette parlait du village, des alentours. Isabelle écoutait sans mot dire. Elle promenait son regard autour d’elle.

Au bout de la jetée, le panorama était exceptionnel. D’un côté s’ouvrait la baie, le large. La lune, bientôt pleine, grande et rousse à l’horizon, projetait de fins reflets argentés, comme une toile d’araignée, sur la mer houleuse et ridée par une légère brise. Mais Isabelle préférait le côté port, où les lumières colorées du village filtraient entre les mâts des voiliers. Tel un papillon de nuit, elle avait toujours été fascinée par la lumière artificielle : elle se sentait bien dans l’ambiance urbaine créée par la lumière froide et grésillante des néons.

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#13

En rentrant, Isabelle observait les étals du marché nocturne. Ils étaient peu nombreux, si tôt dans la saison. Mais à trop regarder autour d’elle, elle ne vit pas les amarres au milieu du chemin. La chute mit fin à ses rêveries.

– Vous… vous allez bien ?

Un des rares promeneurs du soir s’était arrêté. Dans la pénombre, on distinguait une certaine gêne sur son visage. On aurait presque dit qu’il était surpris d’avoir parlé.

– Tout va bien, merci, répondit Isabelle tandis que Juliette l’aidait à se relever.

L’homme qui s’était arrêté restait là, immobile, hésitant. Il avait l’air timide, pas tout à fait sorti de l’adolescence, avec sa barbe de trois jours et ses cheveux mal arrangés.

– Bonne soirée

Finalement, il était parti, mal à l’aise.

– Au revoir !

Mais quand elle répondit, il était déjà trop loin. Elles reprirent leur route. Isabelle boitillait, mais elle s’en tirerait avec quelques égratignures. Mais pour l’heure, elle restait interloquée par leur rencontre. Elle était sûre d’avoir déjà croisé cet homme.

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#14

Le lendemain, il fit chaud. Isabelle décida d’aller à la plage. Sa peau manquait cruellement de mélanine.

L’eau était encore fraîche pour se baigner. Comme elle n’aimait ni rester sans rien faire, ni lire sur la plage – ne parlons pas des mots croisés -, elle décida d’écouter la radio. Elle s’allongea sur la serviette et mit ses écouteurs.

Dans la torpeur qui s’emparait d’elle, elle percevait des échos de la marche du monde. De révolutions en Afrique. De guerre au Proche-Orient. D’échéances électorales en Argentine. De catastrophes naturelles en Europe de l’Est. De fuites radioactives au Canada. D’hommes politiques véreux en Australie. De krach boursier en Chine… Les informations n’avaient jamais été d’une gaieté folle, mais il semblait qu’elle étaient plus déprimantes que jamais. Comme si le monde se détraquait, finalement.

Isabelle entendit encore des annones de canicule précoce, puis, excédée par un discours trop anxiogène, changea de station.

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#15

Jacques entreprit de faire un peu de rangement. Mais bien vite, la chaleur le poussa dehors. Alors, il décida d’aller prendre des nouvelles des personnes qu’il connaissait dans le village. Il commença par son ami Yves. A l’adolescence, ils avaient fait les 400 coups ensemble. Puis, ces dernières années, ils s’étaient perdus de vue.

Quand Jacques arriva devant l’immeuble où Yves vivait avec ses parents – du moins, aux dernières nouvelles -, il remarqua que les volets étaient fermés. Pour se protéger de la chaleur, probablement. Il sonna à l’interphone, et attendit. Ce fut finalement une voisine qui le renseigna.

– Les Eterlans ? Non, ‘pas là. ‘Partis à Marseille. ‘L’fils à l’hôpital. Hémorragie cervicale, ou un truc dans l’genre.

Jacques s’en alla, un peu refroidi. Il ne se rendait pas tout à fait compte de ce que signifiait la nouvelle, mais il était touché. Une hémorragie cérébrale – car ce devait être cela -, si jeune, c’était étrange. Il s’assit face à la mer, l’esprit vide, à ruminer quelques vieux souvenirs.

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#16

Ce jour-là, Jacques avait décidé d’aller se changer les idées du côté de la base nautique. Il y avait passé bien des étés avec sa famille, et toute la base le connaissait comme le « vilain petit canard » : quand tout le monde, cousins et cousines, frères et sœurs, allait sur l’eau, il était seul à rester à terre. Il ne faisait jamais de voile, et pour cause : à peine il posait un pied sur un voilier, qu’il était pris d’un violent mal de mer. Le plus étrange, dans l’histoire, était que, sur un bateau à moteur, il supportait sans ciller la plus forte tempête…

Quand il arriva à la base nautique, il y avait peu de monde. En cette saison, seuls les moniteurs permanents étaient présents, pour s’occuper des scolaires et des rares locations. Jacques salua ceux qu’il voyait, et leur donna de ses nouvelles. Il parla de ses études, évoqua ses doutes, ses problèmes. On lui répondait plus ou moins sérieusement, on se moquait gentiment, parfois. Mais au fond, cette atmosphère où personne ne se prenait vraiment au sérieux aidait Jacques à se détendre. Il reprenait un peu confiance, retrouvait ses repères. Et s’être confié lui avait fait du bien.

Il monta ensuite à l’étage, boire un pot, et contempler une fois encore la mer. D’en haut, il vit s’équiper les deux femmes qu’il avait croisées l’avant-veille. Qu’est-ce qu’il s’était senti bête, ce soir-là ! Elles partaient faire un tour en catamaran.

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#17

Juliette aimait beaucoup la voile. Elle finit par convaincre Isabelle de ne pas rester enfermée à attendre une réponse pour sont travail, et réussit à l’emmener à la base nautique. Il soufflait un bon vent, pas trop fort pour débuter – Isabelle n’avait jamais fait de voile.

Elles louèrent un catamaran, s’équipèrent, gréèrent, et partirent. Isabelle se conformait comme elle pouvait aux instructions de sa coéquipière – qui manquaient parfois de clarté pour une novice.

– Borde le foc, il fasèye ! Non, prend l’écoute, là, tu tiens le bout de resalage !

Après quelques bords, Isabelle avait compris, et commençait même à prendre du plaisir à fendre les vagues, quand soudain, le vent tomba. Pétole.

A quelques dizaines de mètres, émergea un banc de poissons volants. Il étaient des milliers. Leur dos argenté projetait des reflets mouvants et colorés. Ils formaient une grande vague, dont les bords se confondaient avec les vaguelettes de la mer. On aurait dit une bosse, une quantité d’eau solide, vivante, comme si la mer avait décidé de s’affranchir des contraintes de la pesanteur. C’était beau.

Ils disparurent aussi brusquement qu’ils étaient apparus. Aussitôt, le vent souffla, fort. Les deux femmes rentrèrent immédiatement, comme elles pouvaient, encore ébahies – et émerveillées – par ce qu’elles avaient vu.

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#18

Rentrées à terre, elle décidèrent de garder pour elles ce qu’elles avaient vu. Le changement brutal du vent était déjà suffisamment étrange pour alimenter les conversations, pas la peine d’en rajouter avec des histoires à dormir debout. Des poissons volants, on n’en avait jamais vu par ici, surtout en bancs.

En rentrant, un message attendait Isabelle. C’était le travail. Finalement, ils avaient trouvé quelqu’un d’autre. En revanche, ils avaient transmis son CV à « un ami qui montait une boîte de création de site internet », qui était intéressé pour l’embaucher.

Elle n’aimait pas beaucoup ces manières, mais appela tout de même pour accepter. C’était probablement le travail le plus intéressants qu’elle trouverait dans les parages.

Elle commençait le lendemain matin.

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#19

Isabelle se rendit sans entrain à son travail. Elle eut un peu de mal à trouver. C’était dans un vieil appartement, aménagé pour l’occasion, que le « patron », Jean-Claude, l’attendait. Elle était la seule employée.

Jean-Claude, le teint bien bronzé, la soixantaine passée, voyait les choses en grand. Il avait trouvé dans Internet une manne facile à exploiter – ou du moins le croyait-il. Son idée : développer un modèle unique de site, et le vendre très cher, comme un site « sur mesure », aux entreprises locales désireuses de gagner de nouveaux marchés.

Assez vite, Isabelle comprit que Jean-Claude ne connaissait rien en informatique. Quand il lui montra ce qu’il avait commencé à faire, elle n’en revient pas. Elle n’imaginait pas qu’il fût possible de faire quelque chose d’aussi mauvais avec de si bons logiciels. Car le vendeur qui avait dû guider Jean-Claude avait bien joué : il lui avait vendu les plus chers du marché.

Malgré tout, elle se mit au travail. Avec un tel incompétent, elle aurait le champ libre. Et puis, elle ne crachait pas sur le salaire évoqué au téléphone.

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#20

Les jours qui suivirent furent consacrés au travail. Juliette voyait bien que son amie en faisait peut-être un peu trop, mais Isabelle ne voulait rien entendre.

Jean-Claude était une personne assez sympathique. Il était bon vivant, et avait un très bon sens commercial pour vendre ses sites – autour d’un bon pastis. En revanche, il était assez difficile de travailler avec – ou plutôt pour – lui. Non seulement Isabelle devait faire tout le boulot, mais en plus il avait des exigences très fortes. Et ce qu’il demandait était souvent soit infaisable, soit moche. Isabelle ne se simplifiait pas la tâche en s’obstinant à corriger les fautes de goût du patron. Ce qui donnait lieu à de longs débats, dans un chaleur accablante que la mauvaise climatisation ne dissipait pas. C’est pourquoi Isabelle rentrait épuisée tous les soirs.

A la fin de la première semaine, elle demanda sa paye…

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