#64

Et puis l’état de Magda empira brusquement. Suite, probablement, à un effet secondaire d’un des traitements qu’elle avait subis, elle sortit plusieurs fois de son sommeil artificiel, et eut plusieurs crises, avant de replonger dans le coma.

Ce fut l’élément déclencheur d’une vraie crise conjugale. Très affectée, Lena rejetait la responsabilité sur Pierre, qui l’avait « détournée de sa sœur », l’empêchant de prendre correctement soin d’elle. Pierre tenta maladroitement de se défendre, de lui ouvrir les yeux : il n’y était pour rien, et c’était elle qui était beaucoup trop attaché à Magda. Mais ces mots ne firent qu’aggraver la situation, et Lena lui interdit l’accès à son appartement.

La semaine qui suivit fut horrible. Il n’eut aucun signe de vie : Lena était absente au laboratoire, et elle n’était pas chez elle. Il ne la trouva pas dans la Zone, ni dans le monde des rêves. Elle devait passer son temps à l’hôpital, mais Pierre était bien incapable de se souvenir de son adresse. Et il y avait beaucoup d’hôpitaux, tous semblables.

Il se rendit compte assez vite qu’elle lui manquait terriblement. Son petit lit lui parut soudain bien trop grand pour lui seul, et il se faisait du souci pour Magda. Il aurait aimé retrouver Lena, s’excuser, s’expliquer. La serrer dans ses bras. Mais elle était loin.

Il lui envoyait chaque jour un message, pour lui dire qu’il pensait à elle, à Magda, qu’il espérait qu’elle allait mieux. Qu’il l’aimait. Les platitudes habituelles – mais que dire d’autre ? Il n’eut aucune réponse. Jusqu’au jeudi suivant.

« Son état s’est stabilisé. Elle a perdu tout souvenir sur plus d’un an, apparemment. Je ne veux plus que tu l’approches. Je ne veux plus que tu m’approches. »

Pierre était immensément soulagé pour Magda. Mais les dernières phrases lui glacèrent le sang. Il lut et relut le message, comme pour se convaincre qu’il était réel.

Quelques minutes plus tard, il en reçut un autre. Faire aussi mal en si peu de mots, c’était si simple, en réalité. Il n’y avait qu’à appuyer sur « Envoyer ».

« Je t’aime. Je te hais. »

Il en fut, bizarrement, réjoui. Elle pensait encore à lui, elle l’aimait encore. Plus qu’il ne le pensait. Il l’imagina perdue dans un couloir d’hôpital, fébrile, son téléphone entre les mains, ne sachant plus réellement ce que lui disait son cœur.

Mais… des mots aussi violents, cela ne pouvait traduire qu’un profond malaise, une profonde souffrance. Elle devait être vraiment bouleversée par ce qui était arrivé à sa sœur. Et pour en arriver à une telle haine, qui ne tienne qu’en trois mots, elle devait encore le juger entièrement coupable des évènements. Une telle passion, un tel rejet – comment imagine qu’elle retourne un jour dans ses bras, comme avant ? Elle allait… elle le rejetait très clairement, pour protéger sa sœur, pour se protéger d’elle-même. C’était fini, il devait s’y résoudre. Pourtant, tout n’était peut-être pas si noir…

Il passa une nuit atroce, à fantasmer tous les futurs possibles, à tenter de comprendre ce qu’elle pensait à partir de ces quelques mots. A alterner entre espoir et accablement. Et tout au bout du petit matin, il envoya un message teinté d’autant de gravité et de tragédie que ceux de Lena, comme souvent dans de telles situations. Il s’agissait simplement du lien vers l’application Memerase. Il avait tourné et retourné toutes les possibilités, et dans la fièvre de son insomnie, cela lui paraissait la seule issue.

La réponses arriva quelques siècles plus tard, sur l’échelle de temps d’un amoureux désespéré.

« Ok »

Posté dans 2012 - Révolutions | Commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *