Pierre errait sur les passerelles d’une ville du monde des rêves. Il y avait toutes sortes de métropoles dans ce monde : celle-ci était une cité futuriste, construite dans la verticalité. Les premiers niveaux étaient au fond de l’océan ; les derniers, au beau milieu des nuages.
Bien sûr, comme dans toute ville futuriste, tous les moyens de transports étaient volants. Il y avait peu de passerelles pour piétons, et on n’y était jamais à l’abri d’une voiture dont le conducteur aurait perdu le contrôle. En fait, tout cela n’était presque plus de la science fiction. La Grande Anomalie avait compliqué à l’extrême la maîtrise de la lévitation, mais les premiers prototypes d’engins volants commençaient à voir le jour.
Pierre s’arrêta au milieu de la passerelle, et perdit son regard dans l’enchevêtrement des rues de la mégalopole. A la vue de toutes les voitures qui allaient et venaient, il repensa à Kamel, qui imaginait la vie des gens qui vivaient à l’autre bout de la ville, le soir, sur le rebord de sa fenêtre.
Et lui, Pierre, qu’était devenue sa vie ? Les choses avaient encore empiré avec Lena. Il souffrait de plus en plus, et il sentait qu’elle non plus n’était pas bien. Le pire était que le malaise était silencieux, insidieux : ils ne se disputaient jamais, n’avaient jamais vraiment parlé de cela. Pierre était trop réservé, trop timide, et peut-être trop attaché à elle pour la contrarier ; à l’opposé, Lena était trop détaché, absente, pour hausser le ton.
Alors que Pierre était perdu dans ses pensées, quelqu’un lui secoua l’épaule.
– Hé, mon gars ! T’as pas l’air dans ton assiette !
C’était un homme-ours jovial, qui sentait l’alcool. Pierre se demanda à quand remontait sa dernière douche.
– Ça va, ça va, merci…
Il n’avait pas particulièrement envie de parler de ses problèmes avec un ivrogne.
– Tu parles ! Pas à moi ! Allez, tu peux parler à Jo ! Une histoire de nana, je parie !
– Oui, c’est ça, oui…
– Ah, tu vois ! Je l’savais !
Et puis, après tout, il était dans le monde des rêves, et il avait besoin de soulager son cœur. Alors il lui parla de Lena, de son progressif désintérêt pour lui, de l’amour qu’il éprouvait encore, et d’elle qui ne vivait que pour sa sœur.
– Mais, dis, tu crois que ça peut encore aller mieux ? demanda Jo, à la fin.
– Oui, bien sûr ! Enfin… non, en fait. Je veux y croire, mais je sais que… Mais non, je ne dois pas dire ça ! Je ne dois pas me résigner…
– Tut tut tut… Tu te prends trop la tête, mon p’tit gars. J’crois bien qu’c’est fini, avec ta gonzesse.
– Mais je l’aime encore !
– C’est bien l’problème. Tu sais, j’crois qu’ce qu’il te faudrait, c’est l’oublier, une fois pour toutes. T’as déjà pensé à Memerase ?
– Euh, non, c’est quoi ?
– Un appli de téléphone. Qui efface tous les souvenirs qu’on veut. Regarde sur ton magasin d’applis, tu verras !
– Mais, ça marche comment ?
– Ah, j’en sais rien, moi ! Mais penses-y !
Sur ces mots, il s’en alla, débonnaire. Interloqué, Pierre nota le nom de l’application, pour aller voir, de jour.