#61

Et puis l’hiver passa. Le froid recouvrit la ville de ses lumières nettes et grisâtres, et les hommes de gants et d’écharpes. La routine reprit le dessus, et les journées de Pierre se ressemblaient toujours autant, voire plus. Les horaires du travail réglaient ses journées, qu’il trouvait de plus en plus abrutissantes. Au moins, pendant ses études, était-il toujours motivé par l’apprentissage de nouvelles connaissances, la découverte, et la perspective du passage en année supérieure. Là, il ne faisait qu’analyser des échantillons qui, le plus souvent, n’avaient rien d’anormal.

Le moment qu’il préférait était maintenant la nuit, où il pouvait désormais explorer librement le monde des rêves. Comme la seule trace qu’il gardait de ses découvertes n’était pas dans sa mémoire, mais dans un carnet de route, l’émerveillement de la nouveauté était toujours présent, et il ne s’en lassait pas. Surtout que le monde était vaste.

Au début, c’était avec Lena et Magda qu’il se promenait; mais peu à peu, elles préférèrent rester entre sœurs, et laisser Pierre découvrir seul ce qu’elles connaissaient déjà. De toute manière, il n’y avait aucun danger pour les rêveurs.

A vrai dire, il n’y avait pas que dans le monde des rêves que Lena et Pierre s’éloignaient peu à peu. Maintenant que la révolution était finie, et que Lena ne faisait plus de cauchemars, ils n’étaient plus autant attachés. Leurs vies étaient redevenues plus « normales », et ils étaient moins proches, et ils ne dormaient plus toujours ensemble.

C’était surtout du côté de Lena que le lien faiblissait. Pierre n’osait pas lui dire, mais il la trouvait un peu prisonnière du monde des rêves. Elle continuer à aller régulièrement dans la Zone, au détriment de sa vie « réelle ». Alors qu’il avait repris contact avec ses amis de l’université, et retrouvait une vie sociale active, elle restait le plus souvent seule. Elle ne semblait pas intéressée par ce que lui proposait Pierre, et tout ce qui pouvait se passer pendant son éveil : ce n’était qu’endormie, quand elle retrouvait sa sœur, qu’elle reprenait vie.

C’était peut-être ce qui l’empêchait de vraiment l’aimer, se dit un jour Pierre à propos de Lena. Il était trop réel, et il l’éloignait de sa sœur. Mais non, c’était une réflexion stupide. C’était juste l’hiver qui affectait le moral de tout le monde.

Il tenta alors de la reconquérir. Il commanda des billets pour le concert d’un groupe qu’ils aimaient tous les deux, au printemps; passa plus de temps avec elle, lui fit des petits cadeaux; se fit plus doux encore, plus attentif à ses préoccupations.

Mais rien n’y fit, et leur amour s’étiola peu à peu.

Posté dans 2012 - Révolutions | Commenter

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